Germaine Aziz : Les maisons closes

lundi 9 octobre 2017
par  Renée Dray-Bensousan

Germaine Aziz
Les chambres closes. Histoire d’une prostituée juive d’Algérie
éditions Nouveau Monde, 2007 (première édition Stock 1980), 222 pages. Un document d’autant plus précieux qu’il y a peu de traces des prostituées juives dans les archives du réglementarisme colonial, car elles apparaissent soit dans la catégorie indigènes ou européennes.
Une enfance dans le Mellah d’Oran
Entre ses parents , originaires d’Algérie, ce fut d’abord le grand amour mais ce fut aussi l’histoire d’une mésalliance entre Jacob, le fils d’un rabbin connu, et vénéré à Oran, et Julie, une petite couturière fille d’un docker et d’une femme de ménage.
Mais dans le couple qui se maria quand une fille vint au monde, c’est Julie qui fait bouillir la marmite, Jacob ne faisant rien sinon se pavaner dans les costume que son épouse payait.
Le couple attiré par la capitale, se retrouve à Paris dont il rêvait. Nous sommes vers la fin des années 20. C’est là que Germaine( elle porte le nom de la nouvelle femme de son père) naquit dans un couple dans lequel le mari avait déjà retrouvé une seconde femme , Germaine, issue elle, de la bourgeoisie.
Julie désespérée et plus pauvre que jamais retourne à Oran avec ses deux filles. Esther et Germaine. Un deuxième mariage avec Joseph reproduit les mêmes avatars que le premier avec en plus des coups.....Comme il y a peu d’emploi pour Joseph, le couple repart pour Paris. Julie trime et couds toute la journée pour nourrir les 4 bouches à sa charge. Cela ne l’empêche ni de chanter d’être passionnée par le socialisme qu’elle commence a apprendre à ses filles. Nous étions en plein Front Populaire. Elle meurt au cours d’un troisième accouchement. Les petites sont confiées a Rosette leur tante qui les ramène à Oran dans le quartier juifs où elles s’entassent à 7 dans un deux pièces chez la grand-mère mais où s’écoulent des jours paisibles avec un grand-père qui l’enchante
Mais arrive la guerre et son cortèges de pénuries et de lois antisémites. Germaine est chassée de l’école pour faute de judéité... Ses tantes qui ne peuvent assumer sa charge la confie à l’orphelinat du "Bon Pasteur" à quelques kilomètres d’Oran à Misserghin.
L’orphelinat du bon pasteur à Misserghin


Fondé en 1851, par le père Abram originaire de l’Hérault ,après l’épidémie de choléra de l’automne 1849, quand l’Algérie connut de grandes difficultés, de nombreux orphelins étaient à la rue. Abram après avoir découvert une source a l’idée d’édifier une pépinière et une école d’horticulture pour ses orphelins.
Germaine a 14 ans. La vie au "Bon pasteur" régentée par des religieuses est très dure. Apres avoir été rasée de la tête aux pieds et affublée d’un costume ( jupe bleue taillé dans un tissus grossier, culottes longues, bonnet, caraco), la voilà au réfectoire ou fort heureusement elle peut manger à sa faim puis c’est la litanie des prières qui durent qui durent..... Les fenêtres du dortoir munies de gros barreaux noirs, sont verrouillées , elle est en prison.
Le temps passe, avec son amie Thérèse, elle échafaude des plans d’évasion. Thérèse promet de la faire sortir quand elle sortira elle même. Et c’est ce qui se passe. Sa tante Aicha avertie par Thérèse vient la chercher. Elle a 17 ans
Mais sa liberté ne dure que très peu de temps . A la recherche d’un emploi la voila avec Thérèse chez Madame Fernande , une adresse recueillie à l’orphelinat même où les filles disaient trouver un emploi.
En réalité Madame Fernande est une maquerelle qui vend les deux jeunes filles à deux bordels, pour Germaine ce sera le Chat Noir à Bône. Madame Fernande fait partie du vaste réseau proxénète d’’Afrique du Nord.

Les années de Prostitution
Cantonnée dans une chambre sans fenêtre éclairée par « une ampoule électrique souillée de chiures de mouches », Germaine Aziz, fait le dur apprentissage du dressage (pressions psychologiques, injures, coups, menaces de mutilation au couteau...) et des passes à la chaîne – « la file des hommes devant la porte, nue sous le peignoir, les laver... » –, répétées des dizaines et des dizaines de fois par jour. De sa virginité perdue avec un fonctionnaire français, client de la maison, elle ressort « souillée, irrécupérable »
Elle même, explique " J’ai été vendue comme une marchandise mais je n’en ai jamais su le prix. Je rembourse une somme que je ne connais pas, qui s’est augmentée, s’augmente chaque jour du montant de mes soutien-gorge, de mes slips, des serviettes, du couvre-lit qu’on change quand il est trop sale. Ma nourriture, l’eau que je bois sont comptabilisées. La seule chose que j’ai apprise, c’est le prix que payent les hommes qui viennent me voir, 60 centimes".
"Cauchemar des jours, cauchemars ses nuits, je vis dans l’angoisse du "Germaine un client pour toi" écrit-elle.
Elle apprend la dure "loi du milieu" : presque toutes les prostituées ont un "mac" qui touche l’argent qu’elles gagnent. C’est "leur mari" Et malheur à elles si elles se plaignent ou fuient. Loi renforcée par une administration qui ferme les yeux . Des son arrivée la "fille" est mise en carte, c’est à dire que son patron l’emmène dans les locaux de l’anthropométrie. ; une fois par semaine c’est le dispensaire ;" Fichée, elle n’a plus le droit d’être en liberté. Tout déplacement doit être signalé à la police. Toute sortie du bordel doit être effectuée en compagnie de la patronne (...)".
Depuis 1946 la loi Marthe Richard a prohibé la prostitution et fermé les maisons closes. D’ou une surveillance accrue de la police.
Pour Germaine, après Bône c’est Alger...puis Paris et les trottoirs de la Madeleine avant de pouvoir enfin se libérer et commencer une autre vie et s’inscrire à l’université.