Autour du hassidisme

mercredi 1er avril 2009

Autour du hassidisme : lire, écouter, …

Jean Baumgarten, La naissance du hassidisme : mystique, rituel et société (XVIIIè-XIXè siècle, Paris, Albin Michel, Bibliothèque Histoire, 2006, 27 euros, carte, bibliographie, index (ouvrage publié avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah)

Le hassidisme, mouvement religieux piétiste et mystique né en Europe orientale à la fin du XVII è siècle, est, avec la Haskala, un des moments fondateurs du judaïsme moderne, et même si par leurs tenues typiques, certains hassidiques donnent l’impression de vivre dans le passé. Un mouvement célèbre mais en même temps mal connu. Un ouvrage fondamental de Jean Baumgarten (La naissance du hassidisme : mystique, rituel et société (XVIIIè-XIXè siècle), un cycle de conférences et une exposition de photographies au Musée d’art et d’histoire du judaïsme permettent de mieux approcher ce courant majeur du judaïsme : dans quel contexte historique, social, religieux est-il né et s’est –il développé ? Qui étaient le Baal Shem Tov et les rebbe ? Qu’est-ce qu’une cour hassidique ? Comment le hassidisme a-t-il influencé la littérature juive ? Autant de thèmes à développer.

Qui n’a jamais croisé dans des rues parisiennes, vu dans des reportages sur Brooklyn à New York ou sur Méa Shéarim à Jérusalem, les hommes en noir, vêtus de manteaux d’un autre âge, coiffés de chapeaux ou du traditionnel streimel fourré ? Comment comprendre le mode de fonctionnement de ces groupes juifs appartenant au monde ultra-orthodoxe, anéantis dans le Shoah mais aujourd’hui en pleine renaissance que ce soit outre-Atlantique, en Israël mais aussi en France ? Car ces courants religieux, au départ minoritaires et contestés au sein même du judaïsme sont aujourd’hui une des composantes majeures de l’ultra-orthodoxie juive. Jean Baumgarten, directeur de recherche au CNRS et enseignant à l’EHESS, déjà auteur d’ouvrages consacré au yiddish et à la culture ashkénaze nous livre ici une somme d’érudition concernant un courant particulier du judaïsme, le hassidisme. Pas plus que les autres monothéismes, le judaïsme n’a échappé aux fractures religieuses et à la constitution de groupes religieux, certains particulièrement à part des autres, ce qui a fait dire à Arieh Rubinstein que le judaïsme porterait en lui les germes du sectarisme, (c’est-à-dire l’existence de sous groupes à l’intérieur d’une religion). A côté de la halakha ( pivot du judaïsme avec la loi écrite fondée sur le Pentateuque, la loi orale fondée sur le Talmud et les commentaires du talmud et des décisionnaires), il y a des variantes locales, mais aussi la aggada (ou récit, aspect non légal), qui laisse livre cours à de multiples interprétations. Mettre l’accent sur telle ou telle partie de la halakha, insister sur telle partie de la aggada entraîne la constitution d’un groupe religieux distinct des autres.
Jean Baumgarten étudie ici le hassidisme dans une perspective globale. L’ouvrage s’ordonne en parties (la renaissance hassidique, Mitnaggedim, Maskilim et hassidim ou l’enfantement judaïsme moderne,
Fondé en Ukraine par Israël ben Eliezer (1700-1760), dit le Baal Shem Tov (Besht), le « Maître du Bon Nom », ce mouvement mystique de répand assez rapidement en Europe orientale (Russie, Pologne, Ukraine, Roumanie, Hongrie…). Le message du Besht est développé par Dov Baer. Le hassidisme est un mouvement de rupture
La littérature (Isaac Bashevis Singer), les tableaux de Chagall, ont montré la figure de ces nouveaux personnages du judaïsme issus du shtetl : le Hassid, ce juif pieux transfiguré par la prière, le Tsaddik, le Juste qui détient et diffuse son savoir, le Rebbe, maître spirituel d’un groupe hassidique

Ecouter,
• Leçon inaugurale par Elie Wiesel (écrivain, prix Nobel de la Paix) : les récits hassidiques
• Le tsaddiq, figure centrale du hassidisme par Jean Baumgarten (directeur de recherche au CNRS)
• Critiques intellectuelles du hassidisme par Gilles Bernheim (grand rabbin de la synagogue de la Victoire)
• Echos du hassidisme dans les littératures yiddish et hébraïque par Carole Matheron (maître de conférences à Paris III) et Sophie Kessler-Mesguich (professeur à Paris III)
• Les débats autour du hassidisme dans la pensée juive contemporaine par Pierre Bouretz et Maurice Kriegel (directeurs d’études à l’EHESS)
• Les femmes dans le hassidisme par Ada Rapoport-Albert (professeur à University College, London) et Maurice Kriegel (directeur d’études à l’EHESS)
• Le hassidisme aujourd’hui par Haïm Nisenbaum (rabbin de la synagogue de la rue Petit et membre du Beth Loubavitch de Paris) et Laurence Podselver (socio-anthropologue à l’EHESS)

Un monde disparu : « Je n’ai pas pu sauver mon peuple, j’ai seulement sauvé son souvenir… Pourquoi ai-je fait cela ? Un appareil photo caché pour rappeler comment vivait un peuple qui ne souhaitait pas être fixé sur la pellicule peut vous paraître étrange. Était-ce de la folie que de franchir sans cesse des frontières en risquant chaque jour ma vie ? Quelle que soit la question, ma réponse reste la même : il fallait le faire. Je sentais que le monde allait être happé par l’ombre démente du nazisme et qu’il en résulterait l’anéantissement d’un peuple dont aucun porte-parole ne rappellerait le tourment. [...] Je savais qu’il était de mon devoir de faire en sorte que ce monde disparu ne s’efface pas complètement... »
Roman Vishniac

L’exposition de photographies prises par Roman Vishniac dans les années trente permet de voir à quoi ressemblait en Europe orientale ce monde aujourd’hui disparu. C’est le titre qu’il donne au livre de photographies qu’il publie en 1947 (The Vanished World : Jewish Cities, Jewish People). La version française parue en 1984 * est préfacée par Elie Wiesel.
Né en 1897 à Pavlovsk, non loin de Saint-Pétersbourg, dans l’Empire russe, Roman Vishniac s’installe à Berlin en 1920 pour fuir les pogroms. L’arrivée d’Hitler au pouvoir lui fait sentir gravité de la menace qui guette les Juifs et le pousse à entreprendre un périple en Europe centrale et orientale : il parcourt la Pologne, la Hongrie, la Lituanie, le Tchécoslovaquie, photographiant les juifs des villes comme ceux des campagnes. De ses 16 000 clichés, il ne pourra en sauver que 2000 lors de son exil aux Etats-Unis, où il tente en vain d’attirer l’attention sur le sort de ses co-religionnaires.
Ses photos montrent les Juifs dans un monde qui semble s’être arrêté avant la Shoah, des images de tous les instants de la vie quotidienne, de nostalgie et de bonheur, de tristesse, de pauvreté : vieillards en caftan, à longue barbe blanche, scènes de marché en ville, enfants studieux à l’école talmudique, puis rieurs dans la rue, personnages semblent sortir des pages d’Isaac Bashevis Singer. On y retrouve les Juifs hassidiques, rabbins, enfants au heder…petits garçons à la fois presque adultes avec leur tenue traditionnelle et leurs papillotes et tellement enfants avec leurs visages rieurs et leurs regards malicieux…
On ne peut s’empêcher de songer aux clichés pris sur la rampe de Birkenau en 1944, par un anonyme autorisé par les Nazis à photographier un convoi de Juifs hongrois…
Christine Guimonnet