Descelle mes lèvres

mardi 31 mars 2009

Auteur : Hanoch Gourarier

Titre : Descelle mes lèvres Editions le Préau des collines, 2006, 125 pages, cahier photos, 15 €

Quel titre mieux approprié à la réalité pouvait-on trouver ? Aujourd’hui, soixante après la fin de la guerre, la Shoah a pris une place importante. Certains s’en étonnent, d’autres s’en offusquent…oubliant que si la parole des Juifs survivants des camps fut si tardive, c’est avant tout parce qu’elle n’avait jamais trouvé l’écoute. Les lèvres d’Heinz Hanoch Leibowitz sont donc restées scellées pendant soixante ans, alors que tout son être n’était qu’un long cri. Le cri de douleur de celui qui vit sa famille périr dans la machine exterminatrice nazie, le cri de celui qui était revenu du monde des morts.
Celui qui s’appelle aujourd’hui Henri Hanoch Gourarier fut autrefois un petit garçon, né à Berlin, de parents polonais originaires de Lodz et de Przemysl. Un petit garçon né en 1928, qui vécut de manière terrible la montée du nazisme. Après les lois de Nuremberg, la catastrophe de la Nuit de Cristal, les Leibowitz se retrouvent en Pologne, comme d’autres. Un pays où les Juifs sont nombreux, mais mal aimés, tant la population polonaise est travaillée dans ses profondeurs par un antisémitisme séculaire.
La famille s’installe donc à Przemysl, ville natale de Madame Leibowitz. Le pays est coupé en deux à la suite de la double agression allemande et soviétique du mois de septembre 1939, elle-même en germe dans le pacte signé au mois d’août par Molotov et Ribbentrop. Przemysl qui faisait partie autrefois de l’Empire austro-hongrois, se trouve dans la zone soviétique.
La Pologne occupée par les Nazis puis, à partir de juin 1941, toute la partie orientale de l’Europe, des pays baltes à la mer Noire se couvrit de ghettos. Une toile d’araignée qui se révéla un piège mortel : la faim, les privations, les maladies, les mauvais traitements, les assassinats firent de nombreuses victimes. Les Einsatzgruppen fusillèrent méthodiquement les Juifs des marges orientales, les déportations achevèrent de vider les ghettos polonais vers Treblinka, Sobibor, Belzec, Maïdanek, Chelmno et Birkenau où Hanoch arrive avec sa famille en novembre 1943. Une famille qui pense avoir déjà tout connu de l’horreur. Sa mère était dans un autre wagon, sur la rampe juive, Hanoch et son père ne peuvent qu’essayer de l’apercevoir au bout du quai…pour la dernière fois. Le père et le fils aptes au travail entrent dans le camp pour devenir les numéros 161396 et 161397. Le père protège son fils du mieux qu’il peut, son passé professionnel d’ouvrier ajusteur chez Siemens-Halske à Berlin lui valant quelques garanties de survie, comme son travail à la cuisine. Mais, épuisé par les privations, battu pour avoir volé des oignons, blessé, Wolf Leibowitz se retrouve à l’hôpital du camp. Il mourra en février 1944. Hanoch est désormais seul.
La vie du camp…l’appel, les coups, les sélections, le travail, la protection provisoire du travail au Kanada, le travail à Bobrek. L’auteur raconte en arrivant parfois à faire preuve de dérision. La marche de la mort le mène à Buchenwald. Encore des marches pour arriver enfin à quitter l’Allemagne, à la fois terre natale et terre honnie. Hanoch part pour la France et retrouve de la famille à Nice.
Longtemps après, ce livre peut être considéré comme un kaddish, un kaddish pour ses parents gazés à Birkenau, pour Shalom ben Yehoshua et Rachel-Judith, les grands-parents assassinés à Belzec, l’oncle Szymek, la tante Lola et les cousins fusillés dans le ghetto, l’oncle Oscar, la tante Zosia…Un livre à lire, comme d’autres témoignages afin de comprendre l’ampleur de la tragédie de celles et ceux qui ont tout perdu et qui, ayant laissé une part d’eux-mêmes dans ce monde des morts, n’ont jamais pu, s’ils ont recommencé à vivre, vivre comme les autres.
Christine Guimonnet