LA RAFLE DES NOTABLES / LE CAMP DE ROYALLIEU 12 décembre 1941

mardi 28 juillet 2020


LA RAFLE DES NOTABLES / LE CAMP DE ROYALLIEU


12 décembre 1941
par Christine GUIMONNET


Retour sur l’arrestation de centaines de juifs internés dans le camp de Royallieu à Compiègne, avant la déportation de leur presque totalité à Auschwitz


Les persécutions qui visent les populations juives en France entre 1940 et 1944 entraînent la la stigmatisation, le fichage, la ségrégation et l’exclusion professionnelle, scolaire, économique, sociale, la dénaturalisation (perte de la nationalité française), la spoliation des biens (quel que soit le statut économique et social des gens), l’arrestation, l’internement dans un camp pour une durée plus ou moins longue) et la déportation. La quasi-totalité des 76 000 hommes, femmes et enfants juifs déportés a péri. Le reste de la population juive a échappé à la mort en parvenant à quitter la France ou en étant cachée et protégée.
Les survivants viennent régulièrement témoigner devant les lycéens.


La journaliste Anne Sinclair a publié un ouvrage consacré à l’internement de son grand-père paternel au camp de Compiègne-Royallieu.


Dans 21 Rue La Boétie, Anne Sinclair s’était penchée sur l’histoire de sa famille maternelle. Son grand-père, Paul Rosenberg, célèbre marchand d’art, avait installé domicile, galerie et bureaux dans un immeuble du huitième arrondissement, qui abrite aujourd’hui des bureaux de l’entreprise Veolia. Avant la guerre, proche de Pablo Picasso, Georges Braque, René Matisse, Marie Laurencin, Fernand Léger, Paul Rosenberg achète, expose, vend, possède non seulement des toiles de Gauguin, Courbet, Delacroix, Renoir, Manet, Degas, mais aussi des œuvres appartenant à ce que les Nazis appellent alors Entartete Kunst, l’art dégénéré. En 1937, le pouvoir nazi avait organisé une exposition de plusieurs milliers d’œuvres, afin de montrer à la population du Reich ce qu’était cet art décrété non conforme, dont il fallait débarrasser les musées allemands. L’année suivante, plusieurs centaines de ces œuvres furent retirées des collections et vendues à Lucerne. Le 30 juin 1940, la création de l’ERR, Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg est le prélude d’une vaste opération de spoliation à grande échelle, qui cible rapidement les collections des grands marchands d’art, dont certains (Bernheim jeune, Seligmann, Wildenstein, Alphonse Kann, et Paul Rosenberg) sont juifs.


La famille quitte Paris et Paul Rosenberg tente de mettre une partie de sa collection à l’abri. Réquisitionné, l’immeuble devient le siège de l’Institut d’Etudes des Questions Juives (IEQJ). Après une étape à Floirac, les Rosenberg arrivent à New York en septembre 1940. Cette partie de l’histoire familiale est bien documentée. L’exposition conçue par Emmanuelle Polack et présentée en 2019 au Mémorial de la Shoah, et consacrée au Marché de l’art sous l’occupation[1] en présentait clairement les étapes. Affiches et opuscules faisant l’éloge de l’art conforme et stigmatisant l’art dégénéré, documents d’archives (mesures allemandes, lois et décrets de Vichy organisant le statut des juifs, le fichage, l’aryanisation et la spoliation des biens), mais aussi la présentation de l’histoire de quatre galeristes : Berthe Weill, Pierre Loeb, René Gimpel et Paul Rosenberg.
Anne Sinclair s’est ensuite tournée vers la branche paternelle, les Schwartz, dont l’histoire la « hante depuis l’enfance ». On retrouve cette forme de pudeur qui fait qu’on ne questionne pas, même en ayant connaissance des drames liés aux persécutions. Lorsque les documents familiaux sont rares, l’enquête n’en est que plus nécessaire, et Anne Sinclair explique que « redonner un peu de chair aux disparus » était devenu pour elle une obsession.
Marguerite et Léonce Schwartz ses grands-parents paternels, vivent alors au 46 rue de Tocqueville, dans le XVIIe arrondissement. Propriétaire d’une entreprise de dentelles située rue d’Aboukir, Léonce Schwartz a préféré la fermer temporairement, afin d’éviter son aryanisation.


A l’époque, le gouvernement de Vichy a déjà édicté deux statuts des juifs et l’occupant ordonné un premier recensement en octobre 1940, doublé d’un autre dit « de contrôle », un an après. En ce début d’hiver 1941, le danger est palpable et lointain à la fois. Mais l’atmosphère s’alourdit et en septembre, les Parisiens peuvent visiter au Palais Berlitz une exposition intitulée « Le Juif et la France ». L’exposition est organisée par l’Institut d’Etudes des Questions Juives, installée au 21, rue La Boétie, immeuble confisqué aux Rosenberg.
Le 12 décembre, la police française, accompagnée de deux Feldgendarmes et parfois d’agents de la Gestapo, se présente au domicile d’hommes de confession juive et considérés comme « influents ». Sont ciblés des intellectuels, juristes, polytechniciens, médecins, mais aussi des commerçants. Léonce Schwartz qui appartient à cette dernière catégorie, est issu d’une famille juive installée en Alsace, un des importants foyers du judaïsme français. Westhoffen est le berceau familial des Schwartz mais aussi des Debré. Parmi les raflés se trouvent René Blum, frère de Léon Blum, Roger Masse, frère de l’avocat et sénateur Pierre Masse (arrêté au mois d’août avec d’autres avocats juifs), Jacques Debré, frère de du professeur de pédiatrie Robert Debré, et Georges Wellers.


Tiré du lit entre cinq heures trente et sept heures du matin, Léonce Schwartz âgé de soixante-trois ans, remplit mécaniquement la valise des objets dont on lui présente la liste : deux couvertures, du linge, deux jours de vivres, et une somme maximale de trois cents francs. Ni papier ni stylo. Il est conduit à l’Ecole Militaire et parqué dans le manège du commandant Bossut, où arrivent les hommes arrêtés dans les différents quartiers de Paris. La journée s’écoule dans la poussière et la sciure. Dans ses recherches, Georges Wellers, rescapé de la rafle et de la déportation à Auschwitz, explique que la rafle était prévue dès le début du mois de décembre, organisée par Otto Abetz à titre de représailles, afin de cibler des ennemis politiques communistes et juifs.


743 hommes sont donc rassemblés, et même si la liste originelle a disparu, Serge Klarsfeld a pu retrouver 87 d’entre eux. Vers 19h, c’est le signal du départ, entre cris et coups de crosse. Poussés dans les bus qui les conduisent à la gare du Nord, ils sont rejoints par 300 juifs étrangers internés à Drancy depuis la fin du printemps et le milieu de l’été. La nationalité importe moins que l’appartenance à la « race juive ».
La France libre et occupée se couvre alors de camps d’internement, étudiés par Denis Pechanski[2], lieux chargés d’histoire et désormais lieux de mémoire, qu’il reste ou non des bâtiments, et qui sont des sources précieuses pour accompagner nos élèves sur les chemins de la micro-histoire associée au dépouillement des archives locales. Arrivés dans la nuit à la gare de Compiègne, les 1043 détenus descendent dans la boue et sous la pluie, et après cinq kilomètres à pied, les portes du Frontstalag 122 se referment sur eux.


Les voilà au camp de Royallieu[3] où près de 45 000 personnes transitèrent entre 1941 et 1944 avant d’être déportées. De cet espace de 16 hectares cernés de murs, divisés en sous-camps, et sous contrôle total des Allemands, qui l’utilisent pour y enfermer tous ceux qui sont considérés comme des ennemis du Reich, ne subsistent que quelques baraques. Un premier sous-camp est réservé à des prisonniers politiques majoritairement communistes, deux sections ont ouvert pour abriter des prisonniers russes et américains ; le « camp des juifs » est séparé des autres par une double clôture de barbelés. Les familles des détenus raflés le 12 décembre ignorent où leurs proches ont été emmenés. Ces derniers découvrent leur nouvel univers : des baraques divisées en chambrées où une trentaine d’hommes doivent dormir sur une couche de paille, jusqu’à ce que des châlits de bois soient livrés en guise de lit. Le froid glacial pénètre par les fenêtres cassées, l’eau tout aussi glaciale, quand elle n’a pas gelé dans les tuyaux, sort des robinets de lavabos en pierre. Les latrines achèvent d’humilier les détenus : il leur faut se rendre dans une baraque à la saleté repoussante, uriner et déféquer dans une odeur infecte, là où quelques cavités sont insuffisantes pour un millier de détenus. Cela provoque rapidement diverses pathologies intestinales. Au bout d’une semaine, les détenus invalides et les plus gravement malades sont exceptionnellement libérés.
Ne disposant d’aucun récit familial de l’internement de Léonce Schwartz, ni même de lettres, Anne Sinclair s’est plongée dans les écrits de ses compagnons d’infortune, afin de mieux connaître les mois vécus à Royallieu par cette ombre qui passe, mettre sobrement des mots sur ce qui n’avait pas été évoqué dans le cercle familial. Les conditions de détention sont bien documentées, non seulement par de la correspondance, souvent conservée aux archives du Mémorial de la Shoah, mais surtout car certains détenus comme François Montel, Roger Gompel, Georges Kohn, tiennent un journal de captivité.


Un des plus précis est celui du dentiste d’origine roumaine Benjamin Schatzman. Son Journal d’un interné, Compiègne, Drancy, Pithiviers (12 décembre 1941-23 septembre 1942), fut d’abord publié par les Editions Le Manuscrit avant d’être réédité chez Fayard. Schatzman décrit le froid, l’humidité, la saleté qui dégradent rapidement les vêtements et chaussures qui résistent mal aux conditions climatiques. Le froid, la saleté, et bientôt la vermine. Rapidement, les mains, les pieds se couvrent d’engelures, d’œdèmes, de plaies qui s’infectent. L’appel dure parfois jusqu’à deux heures trente, avec cette obsession du comptage, qui provoque l’épuisement des détenus de plus en plus amaigris. Tous les récits rapportent cette faim qui tenaille des estomacs réduits à consommer de la tisane, une soupe claire et une boule de huit cents gramme de pain à partager entre cinq ou six détenus. Je vis dans un état de besoin de manger continuel. Il s’ensuit que ma pensée est constamment tendue vers la nourriture du corps […] C’est une véritable lutte et un arrachement pour arrêter de manger ce pain. Non seulement je l’attends avec une douloureuse impatience, avec la sensation de vertiges, mais j’ai énormément de mal à m’arrêter car il faut en laisser pour le lendemain matin et midi écrit Schatzman.


Dans cet univers fait de brutalité, de détresse et de dénuement, les détenus s’efforcent de résister par la force morale ; organisation, entraide et solidarité sont des moyens de survie, grâce à des détenus russes et communistes d’autres parties du camp qui pouvaient recevoir des colis et en faisaient bénéficier ceux du « camp des juifs ». Ils arrivent également à faire passer du courrier. L’écriture pour certains, le dessin pour d’autres sont bien plus qu’une occupation, un secours, un moyen de ne pas devenir fou. Certains proposent des conférences, l’avocat Pierre Masse organise une sorte de tribunal pour trancher les inévitables conflits de chambrée générés par la promiscuité. La sociologie du groupe montre qu’il comprend 390 commerçants et chefs d’entreprise, 322 artisans, 91 ingénieurs, 63 médecins et dentistes, 33 pharmaciens et chimistes, 27 professions libérales, 16 avocats, 11 professeurs ; 55 étaient sans profession, et 31 étaient étudiants. La présence de médecins permet de tenter de soulager des souffrances, quand les soins sont réduits à la portion congrue. Les correspondances sont autorisées à partir de la fin du mois de janvier, mais les cartes pré-remplies ne sont jamais transmises aux destinataires. Da ns le courant du mois l’administration du camp prépare des listes de détenus trop jeunes ou trop âgés, ou trop malades ou encore inaptes au travail. Les détenus ne connaîtront pas tous le même destin. Des libérations se font au cas par cas. Le 24 février, Léonce Schwartz, atteint de problèmes cardiaques est hospitalisé au Val de Grâce. Très affaibli par l’internement, Léonce Schwartz décèdera le 16 mai 1945.


Un premier convoi quitte Compiègne le 27 mars à destination d’Auschwitz où il arrive le 30 mars vers 5h30 du matin. Sur les 1112 hommes montés dans les wagons (dont les inaptes au travail), seuls 19 étaient encore vivants en 1945. Transféré à Drancy, déporté le 23 septembre 1942 par le convoi 36, Benjamin Schatzman mourut à Auschwitz, tout comme Pierre Masse, déporté par le convoi 39 le 30 septembre 1942. A cette période, entre le milieu de l’été 1942 et l’hiver 1943, il y a environ trois convois par semaine, parfois davantage. Certains ne comptèrent aucun survivant. Georges Wellers partit par le convoi 76 du 30 juin 1944 mais fit partie des rescapés.


La déportation des Juifs en France : chronologie indicative


Elle est organisée avec la collaboration active du gouvernement de Vichy. La Gestapo lorsqu’elle procède à des arrestations, reçoit l’aide de la police, de la gendarmerie, de la Milice. (Groupe paramilitaire fondé par Joseph Darnand). Mais dans leur grande majorité, les Juifs furent arrêtés par les autorités françaises, police ou gendarmerie (dont certaines sont menées par la gendarmerie allemande). Les premières arrestations ont eu lieu en 1941.
Il y eut plus de 80 convois à destination des camps de la mort : le premier partit le 27 mars 1942 et le dernier, le 17 août 1944 (Paris est libéré) transita par la Belgique.
Drancy est le principal lieu de départ, les trains partant du Bourget ou de Bobigny. Quelques convois partent cependant d’autres gares comme Compiègne, Pithiviers, Beaune-la-Rolande (Loire et Cher), et un de Lyon (Rhône).


Tous ont pour destination Auschwitz-Birkenau, sauf quatre qui arrivent vers Maïdanek-Sobibor, un à Buchenwald et le 73 à Kaunas-Reval (Lituanie).


Entre 75 000 et 76 000 Juifs de tous âges, Français et étrangers, ces derniers venus de toute l’Europe, et même de Turquie ou d’Afrique du Nord ont été déportés de France. Serge Klarsfeld évoque un chiffre minimal de 75 721 déportés. Seuls 2 564 survécurent.
Mais avant la mort, les Juifs français et étrangers furent soumis à de nombreuses humiliations qu’entraînèrent les statuts des Juifs imposés par la politique antisémite du gouvernement de Vichy (les premières décisions prise par Vichy ne sont pas imposées par les Allemands).


Humiliations et discriminations
Le 27 septembre 1940, les Allemands promulguent une ordonnance définissant qui est juif et interdisant la zone occupée aux Juifs qui l’ont quittée. Tous ceux qui entrent dans les catégories de l’ordonnance ont jusqu’au 20 octobre pour se faire recenser. La majorité se fait recenser : par obéissance à la loi, par habitude des vexations, par fierté d’être juif. Même des juifs convertis au catholicisme, tels le philosophe Henri Bergson vont au commissariat. Aucun n’imagine alors que ces fiches serviront à des vastes rafles, enfermant les Juifs dans une souricière. Seuls certains, qui parlent allemand, qui ont de la famille en Allemagne évitent le fichage.


Le 3 octobre 1940 paraît le premier texte sur le statut des Juifs. Une loi du même jour impose l’internement des étrangers dans des camps spéciaux sur simple décision du préfet.


Le 7 octobre, le décret Crémieux est aboli : c’est la dénaturalisation collective des Juifs d’Algérie. Le statut des Juifs du 3 octobre s’étend au Maroc et à la Tunisie, protectorats français, avec quelques modifications.
Les cartes d’identité des Juifs arborent désormais le tampon « Juif » ou « Juive ».


Entre le 8 octobre 1940 et le 16 septembre 1941, 26 lois, 24 décrets et 6 arrêtés concernant les Juifs paraissent au Journal Officiel. Parmi toutes les mesures, on compte :
- l’aryanisation des biens juifs
- l’épuration professionnelle
- l’interdiction des de métiers en contact avec le public
- l’obligation de monter dans le dernier wagon du métro
- l’interdiction de fréquenter des lieux publics : les squares, piscines…sont désormais interdits aux Juifs et aux chiens…
- l’obligation de faire ses courses à des heures précises de l’après-midi


Le 29 mars 1941, c’est la création du Commissariat Général aux Questions Juives dirigé par Xavier Vallat puis par Louis Darquier de Pellepoix.
L’Allemand Theodor Dannecker est chargé des « affaires juives » à la Gestapo. A cette époque, les différents camps de la zone libre rassemblent 40 000 Juifs étrangers.


Arrestations, camps d’internement, déportations
Au printemps 1941 ont lieu les premières rafles de Juifs étrangers : 3747 sont dirigés vers les camps du Loiret, comme celui de Pithiviers (les hommes sont appelés au commissariat pour identification d’identité). Celle du 14 mai est appelée « rafle du billet vert ».
Le 2 juin 1941, c’est la promulgation du second statut des Juifs. Le recensement des Juifs de la zone sud devient obligatoire.
En août, 3000 Juifs sont arrêtés dans le XIe arrondissement ; les rafles se poursuivent, permettant d’en arrêter 4232 autres. Ils sont internés à Drancy.
Le gouvernement de Vichy déploie une intense propagande antisémite, utilisant l’exposition sur Le Juif et la France (fréquentée par 200 000 visiteurs) au palais Berlitz. Les antisémites officiels de Vichy clament leur haine à la radio et dans les journaux (Gringoire, Je Suis Partout…). La délation est fortement encouragée.


Le 12 décembre, environ 750 hommes sont arrêtés chez eux et envoyés au camp de Compiègne Royallieu.


En janvier 1942, la conférence de Wannsee précise les modalités d’application de la « Solution Finale », qui a commencé en fait depuis 1940-41 avec la mise en place des ghettos et surtout les massacres commis par les Einsatzgruppen à l’est de l’Europe.
Le 29 mai 1942, les Juifs de la zone occupée âgés de plus de six ans sont obligés de porter l’étoile jaune pour obéir à une ordonnance allemande.
Le 11 juin, lors d’une conférence qui a lieu à Berlin, les Nazis décident que la France doit fournir 100 000 Juifs des deux sexes.


Les 16 et 17 juillet, la rafle du Vel d’Hiv touche les Juifs étrangers de Paris et de la banlieue. Les Nazis espèrent au moins 30 000 arrestations. Mais le bilan (ne) sera (que) de 13 152 Juifs arrêtés dont plus de 4000 enfants. Les familles sont détenues pendant plusieurs jours dans des conditions épouvantables dans le stade du Vélodrome d’Hiver situé dans le XVe arrondissement, à l’angle de la rue Nélaton et du boulevard de Grenelle. Puis les célibataires et les couples sans enfants sont dirigés vers Drancy et les familles vers les camps du Loiret.
Drancy est entre 1941 et août 1944 une antichambre de la mort, un camp d’internement en permanence alimenté par les autres camps d’internement du reste du pays.


Séparation des familles
La plupart du temps, les familles sont séparées ce qui entraîne des situations extrêmement cruelles. Les Juifs étrangers sont dans des situations particulièrement complexes. Les parents nés à l’étranger ont souvent des familles nombreuses. Les aînés des enfants sont nés à l’étranger. Les autres en France. Les aînés sont étrangers comme les parents. Les cadets sont français si les parents ont effectué pour ces enfants une demande de naturalisation. Ce n’est pas toujours le cas.
La police ne devait arrêter que les étrangers mais les enfants y compris en bas âge, même français, ont été raflés avec les parents. Plus tard, Laval livra les enfants aux Allemands afin de remplir les quotas de Juifs exigés. Les parents avaient déjà été déportés…Des enfants de moins de dix ans, et même des tous petits, y compris des nourrissons ont voyagé seuls. Certains sont même incapables de dire leur nom au moment de l’inscription sur les listes la veille du départ. Il n’y a donc que le prénom ou la mention « petit garçon » ou « petite fille »…
Quelques femmes admirables s’en occupent des mois durant ne disposant même pas du minimum nécessaire pour les nourrir correctement, les laver, les vêtir ou encore les soigner. Certains enfants sont morts de maladie, de privations dans les camps d’internement.


Certaines mères, au moment des arrestations, se sont volontairement séparées de leurs enfants, tentant de les envoyer à l’extérieur du Vel d’Hiv à la moindre possibilité de sortie. Quelques gendarmes firent semblant de ne rien voir. Au moment de la grande rafle, aucun policier n’avait refusé d’accomplir son travail…Seuls quelques-uns avaient confié des enfants à des voisins, pour ne pas être obligés de les emmener, ou les avaient envoyés au coin de la rue … Des attitudes rares. La quasi-totalité des enfants périt.


Premier convoi pour Auschwitz


Source article Le Monde


Il fait très beau, le ciel est lumineux lorsque, en début d’après-midi, ce 27 mars 1942, les quelque 4 000 juifs détenus au camp de Drancy sont rassemblés sur la place centrale, ceinte de bâtiments en U. Depuis sept mois, les nazis y parquent les juifs étrangers, appartenant pour la plupart aux "classes laborieuses", qui ont été raflés le 20 août 1941 par la police française, dans le 11e arrondissement de Paris.
Un officier allemand hurle 565 noms et chaque appelé doit sortir des rangs. Parmi eux, Joseph Rubinstein, 23 ans, et Simon Gutman, 18 ans, qui s’exécutent sans trop d’appréhension. En moins d’un quart d’heure les 565 hommes doivent rassembler leurs affaires personnelles dans des musettes et des baluchons. Ils comprennent alors qu’un départ s’organise. Vers où ? Personne ne sait.
"Certains prétendaient qu’on allait nous emmener dans les Ardennes pour du bûcheronnage, raconte Simon Gutman. Nous pensions presque avoir de la chance de sortir de ce qui nous apparaissait comme l’enfer et n’en était en réalité que l’antichambre."
Destinés à des habitations bon marché, les bâtiments de Drancy ont d’abord été utilisés par le gouvernement de Vichy pour emprisonner des communistes puis par les Allemands pour l’internement des prisonniers de guerre français. Dans ce qui est devenu un "camp de représailles" pour les juifs, cerné d’une double rangée de barbelés et de quatre miradors, gardé et administré par les autorités françaises, les conditions d’hygiène sont déplorables et l’on souffre de la faim. La malnutrition a provoqué des centaines de cas d’œdème et de cachexie, et les décès se sont tellement multipliés qu’en novembre les autorités militaires ont dû libérer 800 des internés les plus malades.


Après de multiples comptages, les 565 sont conduits à la gare du Bourget-Drancy. Là, ils montent à bord des voitures de 3e classe d’un train de voyageurs. Il est 17 heures lorsque le train spécial 767 s’ébranle. Arrivé à Compiègne, il s’arrête et, dans la nuit, on fait monter 547 autres hommes. Il s’agit cette fois, en majeure partie, de juifs français arrêtés à leur domicile, à Paris, le 12 décembre 1941 — essentiellement des notables, dont le frère de Léon Blum, un sénateur, un colonel, plusieurs avocats célèbres — mais aussi de juifs étrangers, déplacés de Drancy à Compiègne, ainsi que d’un groupe, séparé, de 34 juifs yougoslaves. L’escorte est assurée jusqu’à la frontière allemande par des gendarmes français accompagnés d’un officier SS. Theo Dannecker, le chef du service des affaires juives de la Gestapo, antisémite fanatique, prend lui-même la direction du convoi.


"S’il y a une évasion, on fusille tout le wagon", a-t-on menacé les 1 112 "passagers". Un seul d’entre eux réussira à s’échapper avant Reims, où le convoi est verrouillé. Le lendemain, le train passe la frontière à Neuburg, traverse l’Allemagne et pénètre en Pologne. Au terme de trois journées, rendues très pénibles par la soif, le terminus porte un nom mystérieux : Auschwitz-Birkenau. Un double camp d’extermination qui restera pourtant dans l’histoire comme le symbole de l’horreur.


A Birkenau, pour ceux du premier convoi, un long cauchemar commence. Dormant à même le bois de châlits collectifs, ne recevant pour nourriture quotidienne qu’une soupe claire et une boule de pain, mordus par un froid polaire, astreints à d’épuisants travaux de terrassement, dévorés par la vermine et terrassés par la dysenterie ou le typhus, ils seront très peu à résister. Les chiffres sont éloquents : d’avril à août 1942, 1 008 des 1 112 déportés succomberont à ce traitement inhumain, soit un taux de mortalité de 91,6 % en cinq mois. Il en sera de même pour la suite : 80 % des déportés du deuxième convoi mourront en dix semaines et 80 % du troisième en sept semaines.
Joseph et Simon auront la chance, relative, de s’initier au petit métier de la survie fait d’autant de hasards que de nécessités. Au début, Simon a été chargé d’extraire des baraques les cadavres des morts de la nuit. Mais un jour, alors qu’il avait brisé la surface d’une flaque gelée pour se rincer le visage, un kapo a lancé : "Vous êtes tous repoussants mais toi tu es propre, tu seras le seul à survivre !", avant de l’affecter aux cuisines. Lever à 3 heures, coucher à 22 heures au milieu des Polonais et des Ukrainiens, "plus durs que certains SS", mais de quoi manger, tenir.


 


Joseph, affecté au kommando "Canada", travaille à la sinistre rampe ferroviaire où l’on procède au "tri" des nouveaux arrivants : d’un côté du quai les plus vieux, les malades, les femmes enceintes et les enfants qui "iront directement au gaz", de l’autre ceux, plus solides, qui auront un sursis. Il verra ainsi débarquer des dizaines de milliers de malheureux venus de tous les pays sous la botte nazie — Belgique, Grèce, Balkans, Scandinavie, etc. — livides, hagards, n’émergeant souvent du cauchemar du voyage que pour basculer dans la mort. Joseph est chargé de ramasser les valises et les colis devenus dérisoires, mais dans lesquels les nazis récupèrent tout : vêtements, chaussures, lunettes. De temps à autre, les prisonniers parvenaient à grappiller "quelques objets usuels ou un peu de mangeaille", mais pas moyen de parler, de prévenir, "le moindre signe c’était la cravache".


Longtemps, Joseph et Simon, qui font partie des sept survivants actuels du premier convoi, n’ont pu parler. Parce qu’ils pensaient qu’on ne les croirait pas ou qu’on les croirait fous. Et puis aujourd’hui qu’ils se livrent pour accomplir leur "devoir de mémoire", les mots n’ont pas assez de force pour exprimer ce que fut leur condition infra-humaine. Ils ne savent plus dire que par bribes l’extrême sadisme de certains de leurs bourreaux — ordonnant par exemple à un père de battre son fils puis à ce fils de battre son père, et devant leurs refus les abattant tous deux "comme des chiens" —, le désespoir, les souffrances, les humiliations, l’endurcissement. Joseph évoque seulement "la haine" qui le tenait debout. "Chaque journée c’était un siècle", soupire Simon. L’un comme l’autre n’entrevoient plus qu’à peine les images d’épouvante des longues cohortes noyées dans "la nuit et le brouillard", les scènes déchirantes ponctuées de cris insoutenables, l’angoisse et la terreur collectives.
Bien conscients d’avoir été "chanceux", Simon et Joseph ont été les témoins effarés du prologue et de l’emballement de la "solution finale". C’est en mai 1942 que fut prise la décision de déporter massivement les juifs de France. Et c’est le 19 juillet 1942 que commencèrent à fonctionner les chambres à gaz d’Auschwitz-Birkenau.
Le premier convoi fut suivi de près de 80 autres, jusqu’au 20 août 1944, regroupant généralement environ un millier de personnes. Dès le deuxième, le 5 juin 1942, les voitures de voyageurs laissèrent place à des wagons de marchandises. Dans le troisième, le 22 juin 1942, on dénombrera 66 femmes. Et, très vite, les femmes et les enfants seront majoritaires dans les trains de la mort. Ils sont environ 76 000 à être partis, 62 000 adultes et 11 000 enfants ne sont pas revenus.
Pour chaque convoi, Serge Klarsfeld et l’association Les fils et filles des déportés juifs de France (FFDJF) qu’il préside se sont livrés à un travail de recensement vertigineux. C’est ainsi qu’ont pu être édités (chez Fayard) le Mémorial de la déportation des juifs de France, reprenant la liste de tous ces déportés, et le bouleversant album photographique du Mémorial des enfants juifs déportés de France : 3 300 photos légendées pour mettre des visages sur les noms des martyrs.
Soixante ans après le début des convois, la FFDJF a pris l’initiative d’en rappeler le souvenir en publiant, à chaque date anniversaire, un encart commémoratif dans Le Monde. Parallèlement, de sobres cérémonies — incluant la lecture de la liste des déportés — et des expositions seront organisées dans les gares de Drancy, Compiègne, Pithiviers, Beaune-la-Rolande ou Angers, théâtre de ces départs quasiment toujours sans retour.


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[1] http://www.fondationshoah.org/memoire/le-marche-de-lart-sous-loccupation-1940-1944


[2] https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2003-4-page-220.htm


[3] http://www.memorial-compiegne.fr/


 


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