Un avant goût de l’université d’été 2021 (1)Les interventions lors de la visio-conférence du 12 juillet

jeudi 16 juillet 2020


 


Les exils 1914-1945
Quelles problématiques ?


par Renee Dray-Bensousan


Une définition pour commencer
« L’exil, on le sait, est expulsion d’un lieu ou interdiction de séjour ; il peut également être éloignement, séparation volontaire, comme en situation de guerre. Dans tous les cas, il est empêchement d’être là où on désire être, là où on pourrait être. Ce " là " loin de se réduire à un lieu, peut être un moment, une communauté, une langue, un espace de résonance intellectuel, politique, affectif, etc. En ce sens, l’exil peut être intérieur : en soi, ou extérieur : autour de soi. Il rejoint, le plus souvent, l’un et l’autre univers de manière à habiter l’être déraciné, à dépayser l’être colonisé. » 


La première partie du XXe siècle, de 1914 à 1945, a été une époque de guerres, de destructions et de révolutions. De nombreux travaux ont tenté de rendre compte de cette combinaison de guerre totale sans lois ni limites, de guerres civiles locales et de génocides, qui a vu aussi l’affrontement de visions opposées du monde et l’Europe se détruire, mettant ainsi au premier plan l’expérience de l’exil. Il nous sera nécessaire à partir d’une analyse interdisciplinaire (histoire, philosophie, art, politique, etc.), de pointer des préliminaires
1) des points de repère à propos du concept et de l’expérience de l’exil,
2) une articulation avec la crise européenne et de la centralité de la Shoah.
3) de montrer comment a évolué la notion de « d’exil » au XXe siècle ainsi que les études sur la destruction des juifs d’Europe.
L’exil peut alors être étudié comme une expérience de rupture qui peut déboucher sur la mort (exil sans retour) ou sur la vie (c’est alors une expérience d’ouverture de rencontre avec l’autre).
Cet examen est d’autant plus urgent que la guerre, la compétition économique, les conflits ethnico-religieux et la violence extrême des massacres et des génocides qui en découlent ont fait basculer l’histoire dans le chaos. Ce chaos s’est manifesté à différents niveaux : - montée des ressentiments et des colères se transformant en haines inexpiables ; - mise hors circuit d’êtres humains, de vies et de richesses ; - rejet et enfermement des réfugiés, des populations sans, des migrants.
S’impose, ensuite une réflexion sur les conditions du déracinement de l’exil et/ou de la persécution et tout d’abord sur les types d’exil en montrant les hommes, les femmes, les enfants, les routes voire même les objets (exemple les violons de la shoah). Cette année plus particulièrement la question mise en exergue est celle de l’exil intérieur.


1) Une première piste concerne l’entre deux guerres et la brusque fin de l’effervescence culturelle en Europe centrale. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’Europe centrale, héritière des deux empires, allemand et austro-hongrois, va se transformer et s’épanouir d’une manière dynamique et indépendante avec l’émergence de nouveaux états. Il s’ensuit une migration culturelle depuis la Première Guerre mondiale, jusqu’à l’émigration massive qui a suivi les accords de Munich.
Est-il possible d’ignorer par ailleurs l’exil forcé de populations dites indigènes vers la France qui avait alors besoin de soldats et de main d’œuvre ?


2) Une deuxième piste est à tricoter qui elle-même aboutit à trois propositions :
• dans le temps des années noires en précisant de quels exils il s’agit : exil des musiciens, des artistes, des intellectuels des anonymes
• -avec l’arrivée de ces nouveaux migrants dans les pays qui ont bien voulu les accueillir. Entre ironie et fascination et, parfois, entre répulsion et attraction, comment ces émigrés, devenus pour la plupart citoyens de leurs nouveaux encrages ? Vont-ils participer fortement à l’évolution de la citoyenneté des pays récepteurs ? Quelle sera par exemple la place des cinéastes, auteurs, scénaristes, musiciens, décorateurs, compositeurs acteurs, tous venus de l’Europe sous le joug nazi, dans le cinéma ou plus généralement dans l’art.
• Comment les milieux français, américains ou autre vont-ils réagir devant cette arrivée massive d’étrangers ?
• Mais il faut aborder encore l’exil de tous ces déportés exilés de force de chez eux. Tout déporté est un exilé forcé, mais ceux qui ont connu la pire des situations sont les Sourds, problème que va aborder Corinne Ammar.


3)Troisième piste car il nous faut réserver un moment a notre espace le plus proche : La Provence, espace de transit
Cette piste concerne les intellectuels (au sens large) à partir des trajectoires différenciées d’artistes et d’auteurs de la Mitteleuropa en transit, pour beaucoup d’entre eux, dans la région de Marseille entre le milieu des années 1930 et le début des années 1940. Certains ont été internés au Camp des Milles, entre 1939 et 1942. Ce transit peut être appréhendé comme une étape, choisie ou non, d’une émigration, un exil ou une fuite, un espace paradoxal de création. Il peut etre également un premier élément dans un vaste processus de transfert culturel depuis l’Europe centrale vers les pays de destinations : Etats-Unis en majorité, mais encore Argentine, Mexique ou Brésil en particulier.


La Provence qui fut le premier exil, lieu de refuge des intellectuels ayant fui le régime nazi a constitué, en dépit de toutes les difficultés, un espace de rencontres, d’échanges et de créativité précédant la poursuite des trajectoires individuelles vers un exil plus lointain devenu une nécessité vitale. David Rousset expliquait qu’il y avait à cette époque en Europe deux uniques portes ouvertes, "Auschwitz et Marseille".


4) Quatrième piste que nous allons dans l’année à venir, essayer de tracer : exil intérieur au plan psychologique mais aussi familial


Nous voudrions nous attacher également à montrer que l’exil peut être vécu de l’intérieur. Peut -on parler alors d’un exil intérieur qui mène parfois jusqu’au suicide comme ce fut le cas d’illustres rescapés de la Shoah. Les exemples sont nombreux de primo Levi a Bruno Bettelheim en passant par Paul Celan et Jean Améry
Primo Levi dont aujourd’hui on dit qu’il ne se serait pas suicidé à Turin le 11 avril 1987 à. Sa chute mortelle dans la cage d’escalier de l’immeuble de Turin pourrait bien avoir été accidentelle. C’est la thèse que défend, presque seul contre tous, l’un de ses amis, le cardiologue britannique David Mendel. Douze ans après la fin tragique de l’écrivain italien.
Bruno Bettelheim se suicide le 13 mars 1990, jour anniversaire de l’entrée des nazis dans Vienne, sa ville natale, ce qui provoqua émotion et stupeur.
Dans la nuit du 19 au 20 avril 1970, Paul Celan se jette dans la Seine, probablement du pont Mirabeau. On ne trouvera son corps que le 1er mai suivant, dix kilomètres en aval, à Courbevoie. Hans Mayer, alias Jean Améry, est un écrivain et essayiste autrichien né à Vienne le 31 octobre 1912, il se suicide dans un hôtel de Salzbourg le 17 octobre 1978.


L’exil intérieur du ghetto cher à Santiago Amigorena qui décrivant l’impuissance de son grand-père argentin alors que la Shoah frappa sa famille à Varsovie, nous offre une méditation puissante sur l’exil. C’est ce que va développer notre intervenante Nicole Agou.
Faut-il avec Roland Jacquard (L’Exil intérieur schizoïdie et civilisation) et parler de « l’exil intérieur », c’est-à-dire de « ce retrait de la réalité chaude, vibrante, humaine, directe ;le repli sur soi ; la fuite dans l’imaginaire » qui mène le plus souvent a la schizophrénie ? Ou bien faut envisager l’exil intérieure comme une résilience chère à Boris Cyrulnik ?
Ou bien encore et c’est la dernière idée : est-ce à porter comme un refuge dans la vie concentrationnaire ? L’exil intérieur comme pivot de résistance ?